Lee Miller (1907-1977), une femme talentueuse, passionnée mais également engloutie dans une vie tumultueuse, de prime abord superficielle mais devenue profonde, sincère, haute et riche en couleurs.

Le contact avec le Paris surréaliste permettra à cette femme en apparence asservie à son image et aux désirs de ses mentors tels que Man Ray, de se métamorphoser en femme libérée. Cette émancipation passera par les premiers regards qu’elle jettera alors dans l’objectif.

Man Ray la révèle, son mari, Aziz Eloui Bey, lui permet de s’épanouir, sa vie avec le peintre Roland Penrose lui offre d’intégrer ou réintégrer les cercles artistiques européens.

Une carrière à multiples facettes, une extraordinaire créatrice du XXe siècle tour à tour mannequin, modèle, égérie des surréalistes, compagne et assistante de Man Ray et enfin photographe. Lee Miller connut le tragique et le joyeux.

Photographe et artiste Lee Miller

Photographie - Portrait of Space (1937)

Elle navigua entre le surréalisme, la mode, la guerre et tant d’autres mondes. Elle co-inventa, avec Man Ray, la scolarisation.

Incarnant la « beauté convulsive » chère à André Breton, elle prend part au début de sa carrière, à la déconstruction de l’image lisse d’elle-même immortalisée dans Vogue en se prêtant au jeu du démembrement. La déconstruction de son image reflète la lassitude de Lee Miller face au rôle de poupée sculpturale qu’on lui a trop longtemps imposé.

« J’étais très belle. Je ressemblais à un ange mais, à l’intérieur, j’étais un démon » - Lee Miller

En quittant Paris et Man Ray en 1932 pour retourner à New York, la jeune femme décide de prendre en main son existence et devenir sa propre création. La créature va finir par dépasser ses créateurs.

La traversée de l’Atlantique est une métaphore de sa traversée du miroir

Lee Miller décide de percer la surface de sa propre image. Son émancipation réelle ne se concrétise que par son passage derrière l’objectif. Eloignée de son mentor surréaliste, elle énonce à NYC son nouveau mode de vie : « Je préfère prendre une photo qu’en être une ».

Le médium photographique lui permet donc de donner corps à ses propres désirs en auscultant ce corps justement dont elle n’a pas eu la maîtrise jusque-là. Reprenant la thématique du démembrement, elle se déconstruit et se met en scène dans une démarche purement réflexive (‘Lee Miller par Lee Miller’). Cette ré-appropriation d’elle-même se traduit par des compositions surréalistes fidèles aux canons de la « beauté convulsive » hérités d’André Breton et de Man Ray. Ces images souvent érotiques sont autant de projections de ses états d’âme et de son goût pour la transgression.

Après avoir été une inspiration pour de nombreux surréalistes, elle se montre elle-même inspirée.

Elle fera tout au long de sa carrière de photographe, de nombreuses photos de fractures diverses illustrant son évolution personnelle et artistique.
Sa quête d’identité et d’un nouvel espace de liberté se concrétise par des évasions multiples pour mieux se retrouver et se ré-apprivoiser. Elle arpente le monde de ville en ville, s’évade d’homme en homme. Elle qui a vu trop longtemps son image maîtrisée par les photographes devient maîtresse dans tous les sens du terme — amante, elle acquiert la maîtrise de l’outil photographique et par là même de son corps et de son existence.
La femme objet devient une femme sujet.

D’une photographie centrée sur elle-même, elle passe progressivement à une photographie ouverte sur le monde. L’autre et l’ailleurs deviennent de nouveaux champs d’exploration pour compléter sa quête identitaire.

L’affranchie devient alors correspondante de guerre, photographe de la guerre, en guerre. Un véritable aboutissement sur le plan artistique, professionnel et personnel.

Couvrir la guerre lui permet de prendre conscience de sa propre guerre pour conquérir sa liberté en tant que femme et artiste. La célèbre photographie de Lee Miller dans la baignoire d’Hitler réalisée par son ami David E. Sherman fait tomber le masque de la battante et restaure par la nudité… la fragilité et la mélancolie qui ne l’ont jamais quittée

Puis c’est en Egypte que, paradoxalement, son art s’épanouit, alors qu’elle a quitté New York. Elle découvre le pays de son nouveau mari, voyage dans le désert et y réalise de superbes photos de dunes, de monastères aux lignes épurées et courbes sensuelles, à la manière d’une sculpture de Giacometti, d’une esquisse de Le Corbusier. Elle joue de la simplicité des formes, avec une grande pureté de lignes, un superbe jeu de lumière.

Lee Miller est-elle une grande photographe ?

Au-delà de l’anecdotique, du beau, du frappant, a-t-elle fait des photos qui marquent l’histoire, qui appartiennent au panthéon de la photographie ?
Parfois oui, quand elle ne consacre pas son art à des objectifs commerciaux ou esthétiques. En revanche, quand, révélée par Man Ray, elle s’affirme comme photographe surréaliste; ce ne sont pas tant ses nus ou ses montages qui plaisent alors, mais surtout ses photos simples d’objets ordinaires.
Ces tirages, rarement montrés, sont époustouflants. Des photos remarquablement composées, équilibrées, riches en tension, révélant une autre réalité inatteignable.