Claire Cano, notre intervenante 2013, qui fait aujourd’hui partie des 10 femmes à suivre en 2015 selon Business Féminin, a récemment découvert 100 000 entrepreneurs. Le but de cette association est de faire connaître l’entreprenariat aux jeunes, de leur donner le goût d’entreprendre, en mettant en relation des entrepreneurs, et des collégiens, lycéens ou étudiants. Claire nous raconte son expérience au sein de cette association !

L’association 100 000 entrepreneurs

J’ai rencontré un des organisateurs du mouvement à plusieurs reprises et j’ai décidé de me lancer auprès d’eux. Le concept est à la fois génial et effrayant : il s’agit de venir parler devant une classe d’élèves, dans leur école ou lors d’un événement, de sa vie d’entrepreneur. Pari a priori plutôt osé. En effet, en quoi une classe de cinquième, voire même de seconde, pourrait être intéressée par la vie d’un entrepreneur alors qu’elle ne sait peut-être même pas ce qu’est une entreprise ?

Après avoir accepté, je me suis dit que là j’allais trop loin dans le défi…Parler devant une trentaine d’adultes c’est déjà compliqué … alors, des ados !? Comment les captiver alors qu’ils n’en ont rien à faire du nombre d’inscrits sur notre site ou de l’évolution de notre chiffre d’affaires ? Mais trop tard. L’engagement était pris !

Une expérience totalement inédite

Je me suis donc rendue un beau matin de décembre à la mairie du 17ème arrondissement de Paris à la rencontre d’élèves du quartier, à savoir trois classes de collège et lycée de ZEP.

Dès l’arrivée, je suis heureuse de découvrir une population qui contraste avec le genre d’élèves que j’ai pu croiser dans mes études : j’ai été au collège et au lycée à Lorient où le métissage est moins fort. Dans la mairie, les élèves rigolent, crient fort. Cette ambiance, ça respire ! Je les observe un peu avec la boule au ventre car j’ai appris à répondre à des clients qui ont trois fois mon âge mais me faire chambrer par des ados…je sais pas comment je vais réagir.

Une femme entrepreneure, ça existe ?

Et là, ça commence. Nous sommes plusieurs entrepreneurs et l’association a développé un format de tables rondes. Les élèves tournent toutes les 30 minutes et s’assoient à la table des intervenants.

Première désillusion : personne n’ose venir à ma table. Tiens, ils ne s’assoient que sur les tables des chefs d’entreprises hommes et assez âgés. Je ne dois pas correspondre à l’image qu’ils connaissent d’un chef d’entreprise.

Un groupe de filles arrive finalement. J’entame nos 30 minutes de conversation en leur demandant si elles savent ce qu’est le métier d’entrepreneur. Elles ne savent pas. J’essaie autre chose. « Ils font quoi vos parents dans la vie? » « Mon père il a un restaurant! ». « Et bien voilà ton père c’est un entrepreneur! ». J’essaie de raconter mon histoire mais en étant assez peu à l’aise avec le “moi-je” qui n’intéresse personne, je les fais parler d’elles. “Qu’est-ce que vous aimeriez faire plus tard ? “ “Vous avez déjà pensé à créer votre entreprise ?”. L’une d’entre elle rêve de monter un salon de beauté à Londres. Je conclus par « vivez vos rêves, c’est le seul moyen de vous épanouir ». La demi-heure est déjà passée.

Des clichés déjà bien installés

Après ce groupe de filles, s’ensuit un groupe composé à 100% de garçons (ah oui, on se regarde beaucoup et on ne se mélange pas en 3ème… j’avais déjà oublié !). Ils me demandent « Madame c’est pas à vous l’entreprise ? » Si pourquoi ? “ “Je sais pas vous êtes jeune, tout ça” …Je constate que les clichés sont déjà très installés chez cette génération, et je suis d’autant plus heureuse d’être là et de me sentir à ma place !

Je leur parle d’automobile. De voyages. D’autres voies que celles que l’école leur apprend. Ces jeunes sont en lycée professionnel et se dirigent déjà vers des filières tracées de technicien industriel, machiniste, etc. Je leur parle également d’Internet et de tous les nouveaux métiers qui sont déjà là et qui vont arriver.

“T’es riche alors maintenant, Madame ?”

Dans le dernier groupe, il y a un collégien qui veut devenir millionnaire. “T’es riche alors maintenant, Madame ?” Je lui réponds que je me paie plus que le SMIC mais que pendant un an, je ne me suis pas payée. “C’est nul alors, l’entrepreneuriat !”. Non, ce n’est pas nul mais c’est difficile à comprendre économiquement. Ce n’est pas nul car c’est épanouissant et cela permet de réaliser ses rêves. Mais pour des jeunes qui vivent dans des conditions difficiles il n’y a pas plusieurs options mais une seule : quitter la misère, devenir riche. Je les comprends.

Ce que je retiens de cette expérience

Ce que je retiens, ce n’est pas vraiment ce que j’ai réussi à transmettre (quoi ? des sourires, des encouragements ? pas des choses très académiques en tout cas) mais bien plus ce que eux m’ont apporté, et la façon dont ils m’ont touchée.

Ils m’ont touchée par leurs mots, par leurs envies, par leurs attitudes. J’ai senti dans les yeux de certains de la tristesse, le reflet d’une vie pas toujours drôle ; mais aussi chez d’autres de la joie, des envies et plein d’espoir !

J’ai appris aussi sur notre société française et ses écarts, ses situations compliquées, ses désespoirs. Les rêves de cette nouvelle génération, où sont-ils ? Ces jeunes qui créeront les sociétés de demain sont-ils parmi eux ? Arriveront ils à surpasser les barrières sociales qui tentent de les catégoriser avant même leur 12 ans ? Leur situation freinera-t-elle tout optimisme ? Paradoxalement, je ne pense pas. Limonov disait “ Quand on est jeune il faut être pauvre sinon on n’arrive à rien”. J’ai envie d’y croire.

Etre entrepreneur ou tout simplement actif implique des responsabilités

J’ai mesuré aussi le devoir que nous avons, entrepreneurs et plus généralement actifs, de venir témoigner pour aider ces jeunes, favorisés ou non, à se persuader que c’est possible. Que l’on peut aimer son métier et l’aimer tellement qu’on a envie de le partager.

J’ai été enfin très touchée par les professeurs de ces classes, de la gentillesse et de la tendresse qu’ils peuvent avoir pour leurs élèves. Eux, témoignent chaque jour devant des élèves. Quelle responsabilité !

La prochaine fois, à la manière de leurs professeurs, j’essayerai de leur apprendre plus.