On le savait déjà, les intervenantes TEDxChampsElyséesWomen sont toutes des femmes passionnantes et passionnées, de celles qui croquent la vie à pleines dents. Aujourd’hui, c’est Sarah Sauquet, notre professeur de lettres ultra-connectée et dévoreuse de culture qui nous raconte avec sa plus belle plume son admiration pour une des plus grandes actrices, Romy Schneider.

Si je suis cinéphile depuis mon plus jeune âge (West Side Story constitua mon premier grand choc cinématographique à l’âge de onze ans…), Romy Schneider est entrée dans ma vie assez tardivement finalement, il y a huit ans de cela. Bien évidemment, j’avais déjà vu l’inénarrable série des Sissi, avais déjà entendu parler de
La Piscine, ou du couple mythique qu’elle avait formé avec Alain Delon ; mais n’avais jamais poussé plus loin mes recherches.

Une femme libre et indépendante

Il y a donc près de huit ans maintenant, je suis tombée par hasard sur César et Rosalie, ce film de Claude Sautet dans lequel une femme étonnamment libre et indépendante, Rosalie, se retrouve écartelée entre César, l’homme de maintenant rustre, entier, un brin vulgaire (Yves Montand) mais amoureux, et David (Sami Frey), l’homme du passé insaisissable et qui sème la tempête sans en récolter les maux.

« César sera toujours César, et toi, tu seras toujours David qui m’emmène sans m’emporter, qui me tient sans me prendre, et qui m’aime sans me vouloir… » ¹ dit Rosalie, le personnage de Romy Schneider.

 

Rosalie l’Arlésienne finira par prendre le large. Et celle que l’on aurait pu prendre pour une « emmerdeuse » se révèle être un diamant à l’état brut que l’on ne peut ni tailler, ni réduire, ni soustraire. Elle incarne, littéralement, la liberté. Tout en faisant du café à David et en couvant César du regard. Ni tout à fait sauvage, ni tout à fait servile. Un port altier, une immense douceur, de la force et de l’élégance, et dans ses yeux, un « ciel livide où germe l’ouragan »². De quoi faire succomber la jeune femme de 23 ans que j’étais.

Une Romy incandescente

Je suis donc non seulement tombée amoureuse de la Romy Schneider qu’aiment et connaissent la plupart des Français, mais je suis très vite entrée en religion, voulant tout voir, tout savoir. La Romy des films de Claude Sautet (Max et les Ferrailleurs, Les Choses de la vie), la Romy peut-être encore amoureuse de Delon (La Piscine), la Romy en exil (Le Train de Pierre Granier-Deferre) et la Romy que Philippe Noiret demande en mariage après une nuit (Le Vieux Fusil de Robert Enrico). Son apparition toute jeune dans Plein Soleil aux côtés d’Alain Delon et Maurice Ronet. Son interprétation magistrale dans L’important c’est d’aimer. Des biographies à la pelle – celle de Catherine Hermary-Vieille étant probablement la plus fidèle.

Tirage original de Giancarlo Botti acheté par Sarah à La Galerie de l’Instant, dans le Marais en 2008

Je la trouve toujours juste. Toujours délicate. Plus sensible qu’une Dorléac. Plus attachante qu’une Deneuve. Moins intimidante qu’une Huppert. Plus raffinée qu’une Girardot. Plus incarnée qu’une Adjani. Plus émouvante qu’une Mireille Darc. Incandescente, véritablement. Et pour moi aucune actrice ne lui arrive à la cheville, aucune actrice ne m’émeut de cette façon. On a dit un moment qu’Emmanuelle Béart était la nouvelle Romy Schneider. On l’a dit un moment seulement car je la pense sincèrement irremplaçable.

…A la fois fragile et libre

Encore aujourd’hui, il est affreusement difficile de parler de l’actrice Romy Schneider sans évoquer le drame continuel que fut sa vie privée : le suicide de son ex-mari, la mort de son fils David, les soucis de santé qu’elle connut, les rapports compliqués avec l’Allemagne nazie et sa mère. Bien sûr, tous ces drames ont façonné son mythe, nous l’ont rendue plus attachante, et bouleversante, et il est souvent difficile de déceler la vraie Romy de ses personnages. Ainsi, La Passante du sans-souci de Jacques Rouffio, réalisé après la mort de son fils et en pleine descente aux enfers, reste à mes yeux insupportable, trop dur à regarder, car dans chaque plan transparaît la douleur de Romy.

Si j’ai moi-même une véritable passion pour cette actrice, je crois être lucide sur ce qu’elle était. Une femme excessivement fragile, complexe, accro à l’alcool et aux médicaments, nymphomane notoire et qu’il fallait constamment épauler. Une actrice que certains ont oubliée et dont on a le droit de minimiser l’importance. Elle n’est à mon sens en rien un modèle et peut-être que ceux qui me sourient gentiment quand j’aborde ma passion pour l’actrice ne l’ont pas saisi.

Elle est celle qui m’émeut et à qui je pardonne ses faiblesses. Celle qui me rappelle qu’on peut être libre et faire ses choix, comme planter Sami Frey et Yves Montand, partir sur un coup de tête avec Noiret et passer aux aveux pour sauver la peau de Jean-Louis Trintignant. Elle est celle qui aime, celle qui avance, « comme des trains, tu comprends, comme des trains dans la nuit »³.

L’an dernier, je me suis rendue pour la première fois à Boissy-sans-Avoir, dans les Yvelines, sur la tombe de Romy Schneider. L’actrice y avait passé ses derniers mois aux côtés de son compagnon Laurent Pétin. Ce dernier, producteur, y habite toujours la maison qu’il partageait avec Romy. Le cimetière est tout petit, à l’image du paisible village et de son église.

Dans Les Misérables, voilà l’épitaphe que Victor Hugo choisit pour la tombe de Jean Valjean : « Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange, / Il vivait. Il mourut quand il n’eut plus son ange, / La chose simplement d’elle-même arriva, / Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va. »

Romy Schneider mourut quand elle n’eut plus son ange. Et à mon sens cette épitaphe lui aurait bien convenu.

¹ Jean-Loup Dabadie et Claude Sautet, César et Rosalie, 1972
² Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857
³ François Truffaut, La Nuit américaine , 1973
⁴ Victor Hugo, Les Misérables, 1862