Francesca Woodman, (1958-1981, est une photographe américaine. Elle se suicidera dans son loft de New York à l’âge de 22 ans.
One being angel, (celle qui voulait être un ange), titre l’une de ses séries d’images. Francesca Woodman l’a accompli, et a donc fait le saut de l’ange.

Son art photographique rend la photographie irréelle

Malgré la brièveté de sa carrière, l’œuvre de Francesca Woodman continue d’avoir une grande influence sur la création photographique contemporaine.
Météore, à la fois enfant naïve et d’une maturité inquiétante, elle aura pendant ses quelque neuf années de créations compulsives marqué indélébilement l’histoire de la photographie. L’autoportrait du néant, l’empreinte de l’effacement de soi, son inquiétante précocité, sa beauté fuyante, son impudeur et sa pudeur extrême à la fois, montrant son corps nu et le dérobant sans cesse, sa fin tragique surtout, ont tissé cette légende.

Son œuvre ne ressemble à nulle autre et son art photographique rend la photographie irréelle.
Elle demeure solitaire et douloureuse, étrange comme un astre noir lointain, toujours incandescent, elle qui fut presque inconnue de son vivant.

Maintenant encore elle demeure une énigme un peu effrayante par sa maturité anormale à son âge, son besoin d‘introspection et d’effacement.
Chris Townsend, son meilleur biographe a dit de Francesca Woodman « qu’elle était un être disséminé dans l’espace et dans le temps. »

Et son occupation frontale de l’espace et sa dilatation du temps, jusqu’au bougé des êtres qui en deviennent flous, caractérisent ses images.
Celles-ci semblent intemporelles, plutôt hors du temps, irréelles, désuètes avec leurs mises en scène venues d’ailleurs.
Tout cela pour une volonté de captation subjective de son être au travers de ses innombrables autoportraits sortis d’un imaginaire presque symboliste, dévoilés, masqués, comme autant de cailloux blancs pour aller jusqu’à elle, et mieux s’y perdre.
Ses photographies sont bien plus que de simples images, elles sont un parcours initiatique vers ses profondeurs.
À tort ou à raison, le suicide de Woodman reste le prisme à travers lequel beaucoup de gens voient son travail, intime et introspectif, et le tragique de son histoire vient à masquer la qualité de son travail. Elle reste une photographe précoce et géniale qui soulève bien des questions sur l’existence, l’être au monde, notre présence ici-bas.

Prises entre 1972 et 1981, les photographies de Woodman sont presque toutes en noir et blanc et dépeignent un monde figé, retiré hors du temps, que le monde moderne n’atteint pas.
L’appartement devient l’espace d’odyssée et de questionnements vers l’intérieur de soi-même et de ses fantômes.

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Une volonté de rendre visible la folie

Son corps, plus rarement celui de son modèle et amie intime, Sloan Rankin, est le prétexte a une exploration mentale, à une suite de fuites métaphysiques avec des flous de bougé, des masques, des dérobades, se cachant dans le cadre, avec des rendus souvent imperceptibles ou invisibles par la coupe du cadrage, les temps de pose très longs, les miroirs comme autant de gouffres.
La jeune fille est son miroir, son abîme, son puits insondable.
Elle rampe vers le miroir pour s’y engloutir et édifie une véritable disparition par l’image.

Woodman se dissimule dans ses photographies. Dans sa volonté de rendre visible littéralement la folie, Woodman exalte le désir de disparaître.
Cette quête métaphysique d’elle-même, étrange pour une si jeune fille, l’amène aux frontières du cri en photographie, et son corps le plus souvent nu est le sacrifice à la nuit, l’autel de la connaissance intime.
Entre un certain voyeurisme et une immense fragilité, elle se dérobe au désir que suscite la représentation du nu féminin et provoque le désarroi de celui qui regarde ses images.
Ses images semblent encore flotter dans l’espace pour nous dire l’imperceptible des choses. Elle est à jamais la photographe de la fugacité.

Dans son appartement dévasté, vide, avec ses murs écaillés, surgit une présence, un fantôme parfois, le fond d’elle-même toujours.

Une éternelle adolescence prise dans les miroirs. « De là où je suis, je vois ce que vous ne voyez pas ».

Francesca Woodman possède un univers particulier

Francesca Woodman a commencé à expérimenter d’autres projets, dont la réalisation de livres qui la passionnait. Un seul livre sera publié : “Some Disordered Interior Geometries”, en janvier 1981.
Elle était aussi fascinée par les diazotypes (photographies imprimées sur des calques d’architecte), mais son œuvre majeure demeure les photographies carrées en noir et blanc.

Le 19 janvier 1981, elle saute du toit d’un immeuble de l’East Side . Aucune personne assistant à la scène ne la connaissait, ni ne figurait parmi ses relations, et non réclamé son corps est resté à la morgue, jusqu’à ce que quelqu’un l’ait enfin identifié grâce à ses vêtements.
La chute avait rendu son visage méconnaissable à l’image des ses autoportraits du néant, empreintes de l’effacement de soi.
Francesca Woodman possède un univers particulier, étrange, onirique, subjectif, qu’elle sait transcrire dans ses photographies, comme dans autant de miroirs.
Ses images sont le plus souvent soigneusement conçues au préalable par des croquis préparatoires, qu’elle met ensuite en scène. Mais aussi elle peut spontanément suivre une émotion, une situation, une illumination.

Elle a su théâtraliser ses conflits intérieurs, ses tourments profonds, en images et en espace.
Le théâtre où se joue la scène de sa vie est en fait un miroir, soit reflétant, soit déformant. Un miroir à traverser, à tromper en se cachant.
Tout n’était que reflet, et on ne pouvait n’être qu’un autre.
Comme ses modèles qui deviennent ses doubles.
Elle semble fantomatique, car utilisant de très longues expositions, elle joue sur le flou.
Elle devient une fumée, un souvenir de l’éphémère, une trace.

Elle ne s’en échappera qu’en sautant par la fenêtre. Mais déjà son corps était en fragments dans ses photographies, qui étaient autant de labyrinthes. Et le corps n’était déjà qu’un accessoire au milieu d’autres accessoires. »You cannot see me from where I look at myself » (Francesca Woodman).

Un monde surréaliste

Ses images fortement prémonitoires « sont tributaires d’un état affectif. ».
Et dans ses images brouillées, avec sa silhouette si souvent en mouvement, on imagine ses états affectifs.Les photographies de Woodman créent des états psychologiques extrêmes et souvent dérangeants, oppressants.
Elles existent tentaculaires, dérangeantes, hors de sa vie fracassée.
Elle s’en explique peu, faisant très peu de notes ou de titres à ses images :
« Then at one point I did not need to translate the notes; they went directly to my hands. » (1976).

Son univers éthéré, si éloigné du monde contemporain, avec ses couleurs, ses néons, ses bruits, est imprégné de visions en noir et blanc.
De nombreux objets jonchent ses images. Des miroirs, des gants, des oiseaux et des bols, des tables. Elle enrobe souvent ses sujets dans des draps blancs, prélude à leur passage en fantômes. La poussière est aussi omniprésente. Tout est méticuleusement posé, arrangé, et en équilibre précaire dans la poudre du temps. Monde certes surréaliste, mais aussi gothique et très symboliste, avec ses menaces en suspens.

Avec elle la photographie est devenue un exorcisme. Derrière l’image palpite Francesca Woodman.
Ses photographies sont bien plus que de simples images, elles sont un parcours initiatique vers ses profondeurs.
« Mourir est un art, comme toute chose ».
À tort ou à raison, le suicide de Woodman reste le prisme à travers lequel beaucoup de gens voient son travail, intime et introspectif, et le tragique de son histoire vient à masquer la qualité de son travail. Elle reste une photographe précoce et géniale qui soulève bien des questions sur l’existence, l’être au monde, notre présence ici-bas.

“J’ai finalement réussi, à essayer d’en finir avec moi-même, d’une manière aussi ordonnée et concise que possible …. Je préfère mourir jeune en laissant diverses réalisations , un certain travail , mon amitié avec vous , et quelques autres objets intacts , au lieu de l’effacement pêle-mêle de toutes ces choses délicates.”

Francesca Woodman a laissé une œuvre courte, mais dense, de plus de 800 clichés, la plupart pris avec son Yashica 6×6.
À Paris, la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain a présenté les œuvres de Francesca Woodman en 1998.