Née à Nantes et précocement terrassée d’ennui, Claire Bretécher se lance très vite dans la bande dessinée, pour s’occuper.

Son graphisme, en apparence simpliste, en réalité nerveux et efficace, soutient admirablement ses propos, lucides et sans concession, sur ses contemporains - surtout quand ils sont riches, intellectuels et désabusés.

Claire Brétecher. Dessins et peintures, Ed. Chêne, 2011, p. 188

Claire Brétecher. Dessins et peintures, Ed. Chêne, 2011, p. 188

Au fil de ses histoires, Claire Bretécher s’impose comme l’une des plus grandes « humoristes-sociologues » du 9ème art, une sorte de Woody Allen française et féminine.

Au début des années 60, après avoir laissé tomber les Beaux-Arts parce que la bande dessinée y est persona non grata, elle enseigne le dessin pendant neuf mois, puis livre des illustrations dans différents journaux dont ceux du Groupe Bayard.

En 1963, elle rencontre Goscinny qui l’invite à dessiner son Facteur Rhésus, bouleversante épopée d’un héros postal, dans l’Os à Moelle :

« J’ai été flattée de cette proposition, et puis je n’étais pas en position de refuser… Il me faisait dessiner des trucs que je ne savais pas dessiner : un ravalement d’immeuble, par exemple. Je suis nulle pour dessiner un ravalement d’immeuble. D’ailleurs, il n’a pas été satisfait du résultat et il ne me l’a pas envoyé dire, avec courtoisie, comme toujours. Il m’a ensuite commandé des illustrations pour Pilote. »

De 1967 à 1971, Spirou l’accueille pour quelques courts récits avec des satires de ses contemporaines (Salades de saison); son style évolue vers un trait plus acide, qui la rapproche de Reiser.

Puis viennent les Gnan-Gnan, Les Naufragés (avec Raoul Cauvin), ainsi que l’éphémère Robin des Foies et Fernand l’orphelin sur des textes d’Yvan Delporte.

En 1969, elle entreprend dans Pilote les aventures de Cellulite (princesse plus ou moins médiévale et féministe avant l’heure). Dans cette série, elle stigmatise les excès du féminisme sans pour autant dénigrer la cause des femmes. Elle imagine également ses futures Salades de Saison, ainsi que diverses bandes d’actualité.

En 1972, elle participe à la création de L’Écho des Savanes avec ses amis Gotlib et Mandryka. Préfigurant ses inoubliables Frustrés, ses histoires se font nettement plus acides.

En 1973, elle est sollicitée par la presse « chic »: Le Sauvage avec Le Bolot occidental, et Le Nouvel Observateur, où elle livre une planche hebdomadaire, bientôt intitulée La Page des Frustrés. C’est également à cette époque qu’elle décide de se lancer dans l’auto-édition.

« Je ne m’occupe pas de l’air du temps consciemment mais, inconsciemment, j’en suis pénétrée comme tout le monde, à travers tout, notamment les journaux. Ma source d’informations ce sont les journaux ».

« Cela dit, je ne connais plus d’ados depuis quelques années, et je ne connais pas de grands-mères non plus, car elles sont toutes mortes… Mais, il y a un truc, qui s’appelle l’imagination ».

Tout le monde a tendance à penser que toute expression est plus ou moins journalistique et observée, mais on peut «imaginer»… comme Charlotte Brontë l’a fait, et tant d’autres…

Claire Bretecher était violemment féministe lorsqu’elle était jeune, mais pas militante de nature

« Quand on est une femme et sainement égoiste, on est féministe. Mais il n’y a aucun sexisme dans «Agrippine».

Sans Bretécher il n’y aurait pas trace crédible de 68. Les ados comme les mères se retrouvent dans «Agrippine». Il n’y aurait donc pas tant de différences entre les générations.

Qualifiée en 1976 de « meilleure sociologue de l’année » par Roland Barthes, sa page des Frustrés est, selon Jean Daniel, « en profondeur, et au second degré, l’une des chroniques les plus efficacement politisée de notre hebdomadaire».

Éditant elle-même ses albums, qui rencontrent un grand succès, elle peut rapidement se passer de son salaire mensuel à L’Obs. Manifestant une certaine lassitude, ainsi que le désir d’avoir un enfant, elle cesse sa collaboration hebdomadaire au début de 1981, tout en y publiant épisodiquement quelques planches de ses albums au moment de leur sortie.

En dehors de la bande dessinée, Claire Bretécher pratique également avec talent la peinture : en témoigne toute une série de visages en couleurs, tirés de ses carnets intimes et repris dans l’album Portraits (éditions Denoël) en 1983 et Moments de lassitude (édité par l’auteur) en 1999.

En novembre 2001, sur Canal +, est diffusée la série Agrippine : 26 épisodes de 26 minutes, consacrant ce personnage et sa créatrice.