Femme et sculpteur d’exception

Formée à la tradition de la sculpture figurative, qu’elle côtoya assidûment à Paris auprès d’Émile-Antoine Bourdelle dont elle fut l’élève particulière, Germaine Richier (1902-1959)se fraya une voie artistique si singulière qu’il est aujourd’hui encore malaisé de classer son œuvre dans un courant précis. On l’associa, à l’instar de celle d’Alberto Giacometti, avec qui elle étudia chez Bourdelle, au mouvement de la philosophie existentialiste.

« La vie n’appartient pas toujours aux choses sereines » - Germaine Richier.

 

Artiste à la puissance de travail étonnante

Artiste d’atelier, Germaine Richier est morte en 1959 à Montpellier. En 2000, l’une de ses oeuvres est installée dans le parc de Sculptures du jardin des Tuileries à Paris.
Elle travaille en toute indépendance dans son propre atelier, partant « à la conquête de son métier total», comprenant déjà la conviction formulée par Rodin et Bourdelle : « La sculpture est l’art de l’intérieur ».

Elle figure en bonne place dans toutes les histoires de la sculpture au XXe siècle. Un dictionnaire de l’art se doit de lui accorder une notice flatteuse.
Et pourtant ! Germaine Richier demeure si peu connue dans les pays francophones. Aucune grande rétrospective française, elle qui l’a pourtant obtenue de son vivant au Museum of Modern Art de New York.

Une formidable artiste trop souvent méconnue

Probablement de par une vie sans aspérités marquées, aucun drame ne l’animant au contraire de celles de grands mythes tels que Camille Claudel ou Frida Kahlo. La Provençale n’a pas connu une vie lourde de féminitude, ne s’est pas construite dans l’ombre de son compagnon, afin de précisément ne pas lui faire d’ombre. Bien au contraire.

« Montée » à Paris dans les 20’s, Germaine entre dans l’atelier de Bourdelle, disciple dévoyé de Rodin. A ses côtés, elle apprend la technique de la triangulation qui consiste à travailler sur le modèle vivant en marquant chacun des points osseux. À partir de ces repères qui indiquent la structure du squelette, des lignes quadrillent le corps. Cette division du corps par un réseau linéaire dense permet d’analyser la forme et de procéder en s’aidant de compas (hauteur et épaisseur) et de fil à plomb, à son report sur le modèle en terre sans études intermédiaires.

Le sculpteur Aristide Maillol lui dira un jour : «Vous savez accrocher un nez à un front»
Cette mise au carreau n’est pas un moyen de copier la nature, mais plutôt d’interpréter la forme, de la déformer en faisant « mentir le compas » selon son expression fréquemment employée.

“Selon moi, ce qui caractérise une sculpture, c’est la manière dont on renonce à la forme solide et pleine. Les trous, les perforations éclairent la matière qui devient organique et ouverte, ils sont partout présents, et c’est par là que la lumière passe. Une forme ne peut exister sans une absence d’expression. Et l’on ne peut nier l’expression humaine comme faisant partie du drame de notre époque.» - Germaine Richier

Photo de Germaine Richier

Photo de Germaine Richier dans son atelier en 1957 - Jardin des Tuileries - L’échiquier - Grand (1959)

Germaine Richier conçoit ses œuvres pleines et complètes.

Elle étire la terre, la superpose en couche, la malaxe et ensuite la déchire à l’aide d’outils à bout tranchant qu’elle appelle épées avec lesquelles elle coupe un plan, accentue un creux, dessine une ligne affirmant la direction d’une jambe ou d’un bras. Elle incise la surface de la matière pour y inclure des fragments et tracer des scarifications. Elle veut que « les formes déchiquetées […] aient un aspect changeant et vivant».

Ses années suisses ont eu leur importance dès 1939 quand elle n’est encore qu’une plasticienne talentueuse classique. La filiation à Bourdelle subsistait en effet : La débutante avait gardé l’aspect lourd et terrien du Montalbanais. Sa force tranquille.
En Suisse, elle croise Giacometti, Marino Marini, Hans Arp. Des rencontres inspirantes.

Des créations tourmentées et monumentales

Germaine Richier tendra alors vers des créations toujours plus tourmentées et monumentales, des formes hybrides : des femmes insectes : araignées (bien avant Louise Bourgeois), mantes religieuses, sauterelles.

Le bronze, exclusivement employé par l’artiste, qui modèle mais ne taille pas, éclaire les subtilités de cet univers sombre et dévoreur. Un monde inquiétant, même si paré de dorures.
Le célèbre Christ qu’elle produit en 1951 pour l’Eglise d’Assy, en Haute-Savoie se voit ainsi retiré à la demande du clergé.

À partir du Crapaud (1940), elle représente le corps humain en l’intégrant aux règnes de la nature. Elle pousse l’expérience jusqu’à greffer dans le plâtre des branches d’arbre et des feuilles (L’Homme-forêt, 1945). Elle voit la vie en toute chose et cette dimension animiste devient centrale dans l’élaboration de sa sculpture. Elle associe le corps d’un homme ou d’une femme à un élément naturel ou un objet usé sans craindre de donner naissance à des figures étranges.

C’est René de Solier, en 1953, qui emploie le premier le mot hybride pour évoquer les sculptures de Germaine Richier : La difficulté vaincue, après quelque exploration aventureuse, nous surprenons l’hybride et le pouvoir d’oublier « les origines »
Le répertoire des formes hybrides, inauguré par Le Crapaud n’est, dans un premier temps, qu’une rencontre entre un nom d’animal et sa « transposition humaine » avant de s’ouvrir au mélange des règnes humains, végétal et animal. Le choix parmi les animaux (crapauds, chauves-souris, tarasques, sauterelles, mantes, araignées) puisé dans un registre essentiellement féminin, construit un univers où la femme « est souveraine ». Et à l’exception du crapaud, ce sont des êtres aux membres longs et grêles, susceptibles de bonds ou de vols.

1953, Germaine Richier introduit la couleur dans ses sculptures

« J’ai commencé à introduire la couleur dans mes statues en y incrustant des blocs de verre colorés où la lumière jouait par transparence. Ensuite, j’ai demandé à des peintres de peindre sur l’écran qui sert de fond à certaines de mes sculptures. Maintenant, je mets la couleur moi-même. Dans cette affaire de couleurs, j’ai peut-être tort, j’ai peut-être raison. Je n’en sais rien. Ce que je sais en tous les cas, c’est que ça me plaît. La sculpture est grave, la couleur est gaie. J’ai envie que mes statues soient gaies, actives. Normalement, une couleur sur de la sculpture ça distrait. Mais, après tout, pourquoi pas ? » - Germaine Richier

L’Échiquier, composé des cinq personnages du jeu d’échecs est l’aboutissement de ses recherches sur la couleur. C’est aussi la dernière sculpture qu’elle réalise.