Régine Deforges, de lettres et de chair…

« Dans son œil, ciel livide, où germe l’ouragan ». C’est par ces mots que Charles Baudelaire aurait pu décrire Régine Deforges, cette rousse flamboyante qui redonna à la littérature érotique française ses lettres de noblesse et à qui l’on doit l’un des plus grands succès de librairie français, la saga de La Bicyclette bleue.

La première femme éditeur de France

Née le 15 août 1935 à Montmorillon dans la Vienne, Régine Deforges grandit entre la Vienne, où elle est placée dans des institutions religieuses, et la Guinée-Conakry, où elle est contrainte de suivre ses parents. En 1953, afin de ne pas y retourner, elle épouse Paul Spengler sur un coup de dé. Fervente lectrice depuis toujours, elle commence par doter, dès 1956, les Drugstores Publicis de librairies avant de créer, avec Jean-Jacques Pauvert en 1968, sa maison d’édition « L’Or du temps », spécialisée dans la littérature érotique et pornographique. Régine Deforges devient alors la première femme éditeur de France. Elle publiera une centaine d’ouvrages et nombre de ses publications (comme « Le Con d’Irène », d’Aragon) lui doivent des poursuites judiciaires. Régine Deforges sera d’ailleurs déchue cinq années durant de ses droits civiques.

De l’art de la littérature érotique

En 1978, elle écrit « Le Cahier volé », inspiré de son amour, à quinze ans, pour une jeune fille de son âge, et qui lui avait valu d’être renvoyée de son pensionnant et déscolarisée une année durant. Elle récidive dans la littérature érotique avec « Les Contes pervers » (1980), tout en alternant avec des récits historiques inspirés de son enfance poitevine (« La Révolte des nonnes », « Sur les bords de la Gartempe »).
En 1981, c’est le début d’un immense succès avec une saga de dix ouvrages, publiée en vingt langues, dont le premier tome, « La Bicyclette bleue », s’est vendu à dix millions d’exemplaires.
Après avoir mené différentes actions dans le monde littéraire (Régine Deforges fut notamment présidente de la Société des gens de lettres et membre du jury du prix Femina), elle publie ses mémoires, « L’Enfant du 15 août », en septembre dernier. Elle nous a quittés ce jeudi 3 avril 2014.

Faire redécouvrir et oser dévoiler ce qui était caché

Régine Deforges dénote indubitablement dans la production littéraire française : faisant preuve d’un courage certain et d’une grande liberté de ton, elle a su accorder une place de choix à une littérature érotique qui était méprisée, délaissée, invitant les femmes à assumer leur plaisir et leur sexualité, hétérosexuelle et homosexuelle, dans une France pompidolienne et giscardienne encore réticentes sur le sujet. C’est à elle que nous devons la redécouverte de certains chefs-d’œuvre de la littérature érotique, comme le magnifique « Histoire d’O », de Pauline Réage, dont elle était l’amie, et certains récents grands succès de librairie, comme « 50 Shades of Grey » pour ne pas le nommer, ne seraient peut-être jamais parus en France sans elle. Plus encore, le ton grivois et libertin de ses romans destinés au grand public aura montré que l’érotisme pouvait et devait avoir sa place dans une littérature plus classique.

Au nom de la liberté !

Au-delà de la dimension érotique et libertaire de ses écrits, les héroïnes de Régine Deforges frappent par leur courage, leur force, et leur liberté de ton. La plus célèbre d’entre elles, Léa Delmas, l’héroïne de « La Bicyclette bleue », est une femme libre et généreuse, qui passe de l’égoïsme et de la révolte adolescente à un engagement au sein de la Résistance avant de poursuivre une traque sans relâche des criminels nazis. Déjouant maints dangers au cours de cette saga, tout en ne reniant ni ses désirs ni sa féminité, Léa Delmas reste une icône pour de très nombreuses lectrices !

Sarah Sauquet - ted(e)xcewomen 2013