De par sa relation à Picasso, elle acquit un statut mythique, devenant à jamais sa muse, une femme écrasée par l’amour et le génie cruel du peintre.
Derrière le mythe, se dessine alors le trajet d’une femme fascinante, et le parcours d’une artiste singulière, aux talents multiples, dont on mesure l’importance aujourd’hui
.

Dora Maar, femme passionnée, talentueuse et engagée

Membre du groupe surréaliste, elle rencontre Brassaï, André Breton, Jean Cocteau, Georges Bataille…, et devient dès le début des années 30 photographe célèbre.
Sa rencontre avec Picasso en 1936 l’oriente vers le dessin et la peinture.
Femme de caractère, elle travaille sans relâche pendant plus de quarante ans, voyageant du cubisme au pointillisme, de l’abstraction au réalisme.
Parfois sombres à l’image de ses photographies, parfois porteurs d’une lumière sidérale et ondoyante, ses dessins font partager l’essentiel de ce que fut le siècle précédent, cruel et novateur.

Henriette Theodora Markovitch, (1907-1997), est une photographe et peintre française, connue sous le pseudonyme de Dora Maar. Apôtre de la Nouvelle Photographie, très inspirée par le mouvement surréaliste, elle se lie à Picasso, dont elle devint, huit années durant, à la fois la muse, l’égérie et la maîtresse.
Rôle ayant hélas éclipsé l’ensemble de son œuvre.

Elle entame des études à l’Union centrale des arts décoratifs de Paris, puis s’inscrit en 1927 à l’atelier du peintre André Lhôte, apôtre du cubisme et, chose peu fréquente dans les académies de l’époque, passionné de photographie.
Elle rencontre Henri Cartier-Bresson, travaille avec Emmanuel Sougez et ouvre son propre atelier.
Elle reçoit ses premières commandes en 1931, publie dans des revues comme Photographie ou Secrets de Paris, signe des publicités - dont celles, surréalistes, pour les lotions Pétrole Hahn -, expose…

A l’époque, Dora Maar est de gauche, proche du groupe Octobre, qui, inspiré par l’agitprop, voulait mettre l’art à la portée des plus pauvres. Elle rencontre Georges Bataille à une réunion du groupe Masses et consigne le tract surréaliste Appel à la lutte, rédigé en février 1934.
Avec Bataille, Breton, et d’autres, elle participe à l’Union des intellectuels contre le fascisme. Ses principaux travaux d’inspiration surréaliste datent de ces années.

Dora Maar

Dora Maar

Man Ray, qui la courtisa, semble-t-il en vain, se souvenait d’elle comme d’une « photographe accomplie dont les photos montraient de l’originalité et une vision surréaliste ».
Diablement vrai lorsqu’on regarde ses collages, ses photomontages, tout ce que les surréalistes bretonnants inventèrent en ces années fastes, et qu’elle ne fut pas la dernière à imaginer.

Mais l’essentiel est ailleurs. Dans ces enfants riants sur fond de misère sur la « zone », la ceinture sordide du Paris des années 1930. Dans ces chanteurs unijambistes saisis à Londres en 1934, frères des dessins berlinois de George Grosz ou d’Otto Dix. Dans ces mômes toujours, épuisés ou suractifs, photographiés à Barcelone, deux ans avant le début de la guerre civile espagnole.
Autant que surréaliste, Dora Maar est l’une des grandes du photoréalisme, un aspect de son art méconnu à ce jour. Peut-être parce que, malgré son engagement politique, elle est moins intéressée par les classes laborieuses que par les exclus du système, les mendiants, les infirmes, les marginaux, les déclassés, qu’elle parvient à montrer sans voyeurisme dans toute leur douleur.

S’ensuit alors dès 1936, un roman passionné et chaotique ; celui de la rencontre par l’intermédiaire de Paul Eluard, de la relation et de la rupture avec Picasso.

« Il avait poussé la porte-tambour. Il ne pouvait plus faire marche arrière. Je le tenais. », aveu discret d’un plan bien établi.

Plantant un couteau entre les doigts de sa main gantée, assise seule à une table des Deux Magots : c’est ainsi que Picasso vit Dora Maar pour la première fois.
Altière, sensuelle, défiant toutes les conventions, Dora avait été la maîtresse de Georges Bataille avant d’imaginer d’angoissantes photographies surréalistes et de produire de magnifiques portraits, des reportages ou des images de mode.

Elle fut l’amante et la muse de Picasso pendant sept ans, et finit par devenir l’une des figures les plus complexes de son panthéon personnel.
Tenant la chronique de leur liaison, Dora Maar photographiait Picasso au quotidien - que ce soit son œuvre ou leur intimité -, en compagnie de Breton, d’Eluard, de Man Ray.
Photographe, elle donne chair, cris et larmes à leur histoire, saisit au flash de son regard l’extraordinaire foire sociale qui se déroule autour de la gloire et du trésor Picasso.

Elle est la première à photographier le maître en pleine création. Aussi ses archives, découvertes à sa mort, en 1997, ont-elles livré des négatifs, planches-contact et des clichés qui représentent des documents incomparables à l’analyse de la création de Picasso.
Ses photographies de la naissance de « Guernica », l’un des plus célèbres tableaux engagés du XXe siècle, en sont certainement l’un des exemples le plus marquants. Illustration de cette complicité à double sens, les traits de Dora Maar que l’on y devine dans l’un des personnages.
On lui doit donc un témoignage unique sur la genèse de Guernica, cri d’indignation et manifeste politique de Picasso contre les atrocités de la guerre d’Espagne. Elle y apparaît dans le personnage de la femme à la torche, avant de devenir la  » Femme qui pleure « , image exemplaire pour Picasso de sa passion comme des angoisses et des doutes qui l’assaillent.

Malgré leur séparation, elle restera son modèle favori et la seule femme à avoir influencé son génie créateur. En témoignent les nombreux tableaux qu’il lui a consacrés ou ceux dans lesquels il la prend pour modèle.

L’image habituellement retenue de Dora Maar, simple muse de Picasso, doit d’ailleurs être corrigée, à l’image de celles de Gala et Dali.
Personnalité forte, sombre et sensuelle, Dora exerçait une fascination sur les hommes.
Dora Maar aurait eu une influence de tout premier ordre sur Picasso sur le plan artistique mais aussi sur son engagement politique, au moment de la guerre d’Espagne, notamment par ses convictions affichées de femme de gauche.

Aux côtés de Picasso, Dora Maar abandonne la photographie pour la peinture.
L’influence, ou plutôt l’écrasante présence du maître, lui impose un style cubisant qui souffre de la comparaison avec son modèle. Encouragée par Picasso à s’exprimer dans cette technique, on peut légitimement s’interroger sur cette volonté de Picasso d’éloigner son amante du domaine où elle excelle pour la contraindre dans la peinture qu’il maîtrise depuis longtemps.

La rupture signifiée, Dora Maar refuse de prendre dans les salons la pose avantageuse de l’« ex-maîtresse de Picasso ». Elle se noie dans la jalousie, le chagrin, la colère. Lacan viendra l’arracher à l’enfermement et aux électrochocs de Sainte-Anne et la fera entrer dans un tolérable « après ».
Tolérable, la vie le serait davantage si Picasso ne venait de temps à autre raviver les blessures en infligeant à l’abandonnée de perverses humiliations.
Comme pour signifier que, si Picasso était un génie, il avait aussi le génie du mal.

C’est à partir de la douloureuse séparation d’avec Picasso qu’apparaît vraiment Dora Maar peintre. Les œuvres tragiques figuratives comme Portrait d’Eluard, ou Autoportrait à l’enfant (1946), traduisent dans une palette sombre la douleur des années d’après-guerre.

Vivant en recluse, et versée en religion, Dora choisit de disparaître de la scène publique, et se mit à peindre et à composer des poèmes.

« Dieu seul pouvait succéder à Picasso », disait-elle.

Après des années de lutte, entre dépressions et mysticisme, l’enfermement volontaire de Dora Maar avec ses souvenirs connaît une brève embellie dans les années 60 à 70, avec des grands formats abstraits aux couleurs chatoyantes. Mais c’est à partir des années 80 que le peintre s’exprime pleinement dans ses multiples tableaux du Luberon, où les paysages sauvages autour de sa maison de Ménerbes, balayés de nuages et de vent, révèlent avec force la lutte d’une artiste aux prises avec les fantômes de son passé.

lls étaient bien peu, le vendredi 25 juillet 1997, à suivre le cortège funèbre de Theodora Markovitch jusqu’au cimetière de Clamart.
Ils étaient des centaines à se bousculer lors des six ventes aux enchères qui dispersèrent, en octobre et en décembre 1998, ses souvenirs.
L’œuvre de Dora Maar est donc restée méconnue jusqu’aux ventes posthumes , qui firent découvrir au public et aux professionnels une production très personnelle qui n’avait jamais quitté son atelier.
Theodora Markovitch, dite Dora Maar, a fait plus parler d’elle après sa mort que de son vivant. Presque nonagénaire, elle ne sortait plus guère de chez elle.
Pourtant, ses portraits peints par Picasso étaient exposés dans le monde entier.

Elle avait été sa compagne de 1936 à 1943. Liaison orageuse, entre un génie et une artiste dont l’œuvre ne pouvait que souffrir d’une telle proximité. Et qui pourtant mourut dans un appartement situé à deux pas de l’atelier des Grands-Augustins qu’elle avait trouvé pour lui et où fut peint Guernica.