Sa poésie engagée, la beauté mélodique de ses compositions et la profondeur d’émotion que dégageait sa voix lui assurèrent une renommée d’ampleur internationale.

A travers son « costume » de la dame en noire, Barbara s’est construit un personnage unique et mystérieux. S’inspirant de ses expériences personnelles et de sa vie pour écrire et composer les chansons qu’elle interprète, la « dame brune » s’est beaucoup contée et confiée dans ses textes. Dans « mon enfance », « Nantes » et « L’aigle noir », elle raconte certains épisodes de sa vie : les souvenirs de l’occupation, la mort de son père, l’inceste paternel.
Elle a également beaucoup donné à son public a qui elle a livré « sa plus belle histoire d’amour ».

Barbara Brodi

Photo de Barbara Brodi

Monique Andrée Serf, dite Barbara (ou Barbara Brodi à ses débuts), auteure-compositrice-interprète française, (1930-1997) propulsée vedette du music hall.

Barbara provient, comme Serge Gainsbourg, Michel Polnareff et d’autres artistes de la même génération, d’une famille juive originaire d’Europe centrale par sa mère. Grandissant dans un milieu très modeste, elle devra fuir avec sa famille pendant l’occupation allemande.

Point crucial, déterminant l’ensemble de sa vie, de son oeuvre : Barbara aura à supporter le comportement incestueux de son père pendant son enfance. Alors qu’elle a dix ans et demi, son père abuse d’elle. Sa jeunesse bascule soudain « dans l’horreur » d’où personne ne tentera de la sauver. Accusée d’affabulations, elle refusera d’évoquer le drame en public, excepté dans ses Mémoires.

Peu attirée par les études, elle ambitionne de devenir pianiste et chanteuse, le piano l’invite à jouer de façon instinctive, ses doigts glissant naturellement sur les touches créant une musique exprimant sa personnalité, sa réalité intérieure.

Revenue à Paris à la Libération prend des cours de chant et entre à 19 ans au Conservatoire supérieur national de musique de la rue de Madrid. Elle apprend quelques airs classiques, étudie Fauré, Debussy et Shumann. Avide de chanter, séduite par la chanson populaire, celle d’Aristide Bruant, Fréhel, Harry Fragson et surtout Edith Piaf, qui devient son modèle, elle quitte le Conservatoire pour s’essayer aux cabarets parisiens, sans succès.

Elle part alors tenter sa chance en Belgique, où elle mène pendant quatre ans une vie bohème, chantant dans des cabarets.

Années difficiles où elle endure patiemment les sifflets d’un public étudiant qu’elle fatigue, et flirte avec la misère. Elle s’invente alors ce nom de scène qu’elle ne quittera plus, Barbara Brodi, d’après le nom d’une de ses lointaines aïeules slaves (Varavara Brodsky).

De retour à Paris en 1955, Barbara finit par forcer la porte des cabarets parisiens. Elle se mêle à une foule d’artistes en herbe parmi lesquels Georges Moustaki, Serge Gainsbourg, Serge Lama et Brigitte Fontaine. Son répertoire s’étoffe : à la chanson réaliste d’avant-guerre, elle ajoute des textes de Brassens, Jacques Brel et Léo Ferré, puis teste timidement sur ce public ses premières créations.
Se produisant tous les soirs vers minuit, toujours en robe noire, elle devient la «chanteuse de minuit» et commence à poser ce personnage de la «longue dame brune», mystérieuse, mélancolique, qui lui collera longtemps à la peau, et attire le public snob du Paris en ébullition intellectuelle des années 1950.

Le succès vient à partir de 1964. La chanteuse chante alors Barbara et enregistre une série de titres qui deviendront des classiques.
En octobre, elle est invitée à chanter à Bobino en première partie de Georges Brassens. Le succès est tel qu’elle en éclipse le Sétois. Dès lors, elle est lancée.

Photo de la compositrice-interprète Barbara Brodi

Photo de la compositrice-interprète Barbara Brodi

Le public est conquis et les critiques sont unanimes pour saluer sa prestation.

Paris-presse-L’Intransigeant écrit qu’elle « fait presque oublier Brassens », L’Humanité : «Un faux pas de Brassens, une prouesse de Barbara.»

Propulsée vedette de music-hall, Barbara enregistre à nouveau, se produit à Bobino en tête d’affiche, et découvre à 35 ans les affres de la vie de star. Elle enchaîne enregistrements d’albums studio et grandes tournées. Barbara est plus une femme de scène que de studio. Préparant ses concerts des mois à l’avance, avec une méticulosité presque maniaque, elle en fait des moments de communion rares avec son public. La créativité maximale de Barbara s’exprime lors de ses tournées où elle est capable de composer des chansons en quelques heures, comme en 1964 quand elle écrit Göttingen pour son public allemand, une chanson pour la réconciliation franco-allemande.

Elle met en scène sa carrière comme une série de rendez-vous d’amour avec son public, son «amant aux mille bras», pour qui elle compose Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous.

Admirative d’un Gainsbourg capable de créer des «albums-concepts», Barbara sait qu’elle est d’une autre trempe.
Elle affirme : « Je n’ai pas d’imagination », et de fait pratiquement toutes ses chansons sont d’inspiration autobiographique : Nantes (la mort de son père), Mon enfance (sa jeunesse juive sous l’occupation), Une petite cantate (la mort de sa pianiste de l’Ecluse) ou L’Aigle noir, qui évoque de façon symbolique l’inceste paternel dont elle a été victime.

En pleine période yé-yé, jupes courtes et nattes blondes, Barbara ne cède pas à la facilité. Ses chansons forment un monologue intérieur empreint d’une poésie noire, mélancolique, mettant en scène des blessures personnelles auxquelles on peut souvent s’identifier, ou parlant d’amour dans des saynètes à consonance romantique. S’ensuit une relation avec son public qu’on a pu qualifier de psychanalytique, concerts-divan où elle se dévoile dans des moments frisant la catharsis.

Barbara cherche un endroit original pour son retour sur scène : ce sera à Pantin.

Ce concert marque un tournant dans sa carrière : conçu comme un grand show à l’américaine. La diva y pousse son perfectionnisme à l’extrême.

Un soir, l’artiste étant complètement aphone, c’est le public qui entonne les chansons, accompagné par les musiciens et la chanteuse au piano. À partir de Pantin, la voix de Barbara se fragilise, dérapant dans les aigus, moins assurée, mais donne à ses chansons une émotion encore plus grande qui galvanise son public.

Arrivée à l’âge mûr, Barbara affirme toujours plus son personnage de diva sophistiquée toute en strass (« ma conception du spectacle, c’est la paillette », déclare-t-elle à Télérama), poussant son maniérisme et sa théâtralité encore plus loin et multipliant les frasques.
Mais elle met aussi sa célébrité au service de causes qui lui tiennent à cœur, en particulier la lutte contre le sida dont elle fait un combat personnel. Elle qui n’a jamais écrit que sur l’amour et sa propre vie commence à évoquer l’actualité dans des textes engagés, notamment Si d’amour à mort, Le soleil noir.

En 1998, ses mémoires inachevés sont publiés chez Fayard, sous le titre Il était un piano noir… Elle y révèle l’inceste

« J’ai de plus en plus peur de mon père. Il le sent. Il le sait. J’ai tellement besoin de ma mère, mais comment faire pour lui parler ? Et que lui dire ? Que je trouve le comportement de mon père bizarre ? Je me tais. Un soir, à Tarbes, mon univers bascule dans l’horreur. J’ai dix ans et demi. Les enfants se taisent parce qu’on refuse de les croire. Parce qu’on les soupçonne d’affabuler. Parce qu’ils ont honte et qu’ils se sentent coupables. Parce qu’ils ont peur. Parce qu’ils croient qu’ils sont les seuls au monde avec leur terrible secret. De ces humiliations infligées à l’enfance, de ces hautes turbulences, de ces descentes au fond du fond, j’ai toujours resurgi. Sûr, il m’a fallu un sacré goût de vivre, une sacrée envie d’être heureuse, une sacrée volonté d’atteindre le plaisir dans les bras d’un homme, pour me sentir un jour purifiée de tout, longtemps après. »

Deux ans plus tard, ses effets personnels sont vendus aux enchères malgré les efforts de ses admirateurs et amis pour préserver ce patrimoine dans un futur musée.