Emmanuelle Périé

Les femmes en action
// 18 février 2015

Quelques mots de vous

Comment vous définissez-vous ?

Pendant longtemps, je me suis définie comme marin, navigatrice puis plongeuse. Aujourd’hui, on écrit souvent aussi « exploratrice » mais j’ai encore du mal à le formuler moi-même ainsi !

Je suis surtout une maman, qui essaie d’allier famille, passion et engagement à travers la diffusion d’images différentes - celles de mondes sous-marins que nous avons peu l’habitude de voir – sous le Pôle Nord en 2010 et la côte groenlandaise en 2014 et 2015.

Ce que l’on doit savoir de votre parcours ?

Aussi loin que je me souvienne j’ai été passionnée par la mer, les cétacés et l’envie de plonger. Habitant en Champagne, j’étais bien loin de mes rêves jusqu’à ce qu’en 1991, à l’âge de 12 ans, je vois à la télé un documentaire sur des adolescents qui partaient en bateau pendant plusieurs mois à la découverte des cétacés. Je me suis battue pour intégrer un de ces organismes et en 1992, à 13 ans, je larguais les amarres pour 6 mois de mer… qui allaient changer ma vie. En convaincant mes parents, mon école, les organisateurs puis en allant au bout de mon rêve, je réalisais pour la première fois que rien n’était impossible.

Le retour fut difficile, on me décourageait de m’orienter vers l’océanographie, trop long, pas assez de débouchés… Après le bac je mets le cap sur la Bretagne ou j’entreprends une formation professionnelle pour devenir monitrice de voile. Cette vie me plait et je m’y engage à fond, passant tous mes brevets aux Glénans puis à l’Ecole Nationale de Voile. En parallèle de mon travail de responsable de l’île de Penfret – où je coordonne les activités de 200 stagiaires et 50 moniteurs – j’expérimente la course au large en Mini 6.50. Je m’y serai certainement investie si je n’avais pas rencontré Jean-Louis Etienne et sa femme Elsa sur l’expédition scientifique Clipperton. Le goût de l’aventure et les histoires de Jean-Louis me décident à tout faire pour découvrir les régions polaires. A mon retour, je deviens monitrice de plongée avant de repartir pour un an et demi de navigation arctique entre Norvège et Spitsberg, comme second à bord du voilier Southern Star d’Olivier Pitras. En 2007, je retrouve Jean-Louis Etienne pour une expédition sur un bateau des airs : le dirigeable. C’est à cette occasion qu’en 2008 je me rends pour la première fois au pôle Nord Géographique.

Under The Pole

Je rejoins alors Ghislain pour préparer Under The Pole I - Deepsea Under The Pole by Rolex. En 2010, je suis la seule femme de l’équipe sur et sous la banquise : je plonge, m’occupe de la communication et de notre chien Kayak. Depuis, je me consacre pleinement à la valorisation* du travail et à notre nouvelle expédition de deux ans en arctique : Discovery Greenland – Under The Pole Part II.

* L’expédition a donné lieu au film « On a marché sous le pôle » qui a été diffusé dans le monde entier, en particulier sur France 3 – Thalassa, France 5 et National Geographic Channel. Il a été récompensé par 12 prix dont 5 Grands Prix parmi lesquels meilleur film d’aventure, meilleur film polaire, meilleur film sous-marin et prix du National Geographic.

Un livre de 256 pages publié aux éditions du Chêne sous le nom « On a marché sous le pôle » revient sur la préparation et le déroulement de l’expédition en alternant récit et photos.

Qu’est-ce qui a guidé vos choix professionnels ? Personnels ?

Je ne sais pas si on choisit un jour de devenir explorateur/rice. Il y a quelque chose qui doit s’apparenter à de la vocation car très vite on a conscience que l’on ne pourra pas se satisfaire d’une vie « normale ». J’ai l’impression que c’est le dénominateur commun des explorateurs.

« Comment on en arrive là ? Au départ c’est la passion dans un domaine qui nous y amène. Pour moi cela a été la passion des cétacés petite et mon amour de la mer, quoique j’entreprenne, je revenais toujours à ça. C’est aussi les rencontres, deux en particulier : Jean-Louis Etienne et mon mari Ghislain Bardout. »

Le jour de mes 26 ans, sur l’atoll de Clipperton, Jean-Louis Etienne et sa femme m’offrent un livre sur les pôles et écrivent sur la première page « cela devrait t’être utile dans un avenir proche » et « va au bout de tes rêves même si le chemin est difficile ».

A mon retour je rencontre Ghislain. Sans lui, je ne me serais pas lancée dans l’organisation d’expéditions. Sans moi, il ne se serait peut-être pas lancé dans cette voie non conventionnelle. Nous avons su nous faire confiance et emprunter des chemins non balisés pour satisfaire notre curiosité et nos passions.

« Aujourd’hui malgré les difficultés et la pression financière, nous avons la satisfaction d’être aux commandes de notre vie, en famille avec notre petit garçon de deux et demi, Robin et une belle équipe qui partage nos convictions. »

Voir Robin s’épanouir et être si à l’aise en bateau, dans la nature, est ma plus belle récompense. Partager avec lui les observations de baleines, de phoques sont des moments magiques qui j’espère lui inculqueront durablement l’amour et le respect de la nature.

Votre principale qualité ?

La détermination.

Quelles sont vos valeurs fondatrices et inspiratrices ?

« On peut croire en ses rêves et les réaliser moyennant beaucoup de travail, d’audace et de persévérance. Il n’y a pas qu’un seul chemin et nous sommes seuls capables de savoir la direction à donner à notre vie. Un projet, un rêve peuvent revêtir plein de formes différentes, l’important est d’aller au bout et de ne pas les laisser au fond d’un tiroir. »

Un enfant, des enfants ne sont pas un frein à nos projets mais une raison supplémentaire de les mener pour transmettre nos passions, nos convictions.

en quoi vous retrouvez-vous dans celles de TEDx ?

Le partage des idées, l’optimisme et l’énergie que cela engendre. Ce partage me touche à chaque fois que j’entends quelqu’un en conférence avec une idée incroyable, qui arrive à transmettre son message et convaincre en quelques minutes ses auditeurs.

« Il y a tant de bonnes idées à partager à travers le monde, quel enrichissement ! »

Engagement

de quelle manière vous engagez-vous dans la vie ?

Dans le milieu de l’aventure, on entend souvent par engagement la prise de risque physique. Cela a été bien sur le cas lorsque nous étions seuls sur la banquise du pôle Nord à 800 km de la côte la plus proche. Pour moi cela signifie surtout l’engagement en ce que l’on croit, en nos convictions. Nos activités en arctique sont parfois engagées sur le plan physique, elles le sont aussi par ce que l’on souhaite dévoiler avec nos images d’un monde en voie de disparition. Notre expédition est depuis peu placée sous le Haut Patronage du Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche pour notre travail de sensibilisation des scolaires et nos collaborations scientifiques. Nous partageons avec les enfants et les jeunes le plus possible notre expérience à travers des conférences dans les écoles, des évènements où nous les appelons en direct depuis l’Arctique… Je rédige également à l’attention des enfants « le journal de Kayak ». Kayak est notre chien husky et à travers lui, je raconte les aventures et les découvertes d’Under The Pole.

Quel est l’engagement chez une femme ou un homme qui vous a le plus impressionné ou inspiré ?

Il n’y en a pas un mais beaucoup et cela donne de l’espoir !

Nicolas Bouvier et Ella Maillart m’ont énormément inspirée et j’ai de l’admiration autant pour les voyageurs que pour les écrivains qu’ils sont.

Paul-Émile Victor, Jean-Louis Etienne et Nicolas Hulot pour leur engagement et les sages qu’ils sont devenus. Au delà des explorations et des exploits accomplis, ils sont des « passeurs d’histoire » et des éclaireurs.

« Ellen Mac Arthur qui rassemble tant de belles qualités : la persévérance et la force mentale et physique ce qui lui permit, en tant que navigatrice, de faire ce que presque aucun homme n’a réalisé. Et qui n’a pas hésité à changer de chemin pour se battre à travers sa fondation pour une société meilleure où économie rimerait avec écologie. »

Pierre Rhabi qui défend un mode de société plus respectueux de l’homme et de la terre.

Roland Jourdain « Bilou » le navigateur de course au large qui travaille sur les bio-composites et qui est le parrain de notre bateau.

Et tant d’autres, Al Gore, Sylvia Earle, Cousteau…

De l’ Audace

Les femmes françaises sont-elles audacieuses ?

Bien sûr ! J’ai participé cette année à la journée de la femme où j’étais sélectionnée avec 20 autres femmes d’«exception» au parcours atypiques. J’ai été bluffée par le parcours de toutes ces femmes, pilote de chasse, magicienne, à la tête d’associations caritative… Que de défis relevés et d’énergie chez ces femmes qui croient en ce qu’elles font !

« Les femmes françaises, les femmes dans le monde sont depuis toujours capables de relever d’immenses défis. Quand elles sont déterminées, tendues vers un objectif, rien ne peut les arrêter. Dans un monde censé, il n’y aurait d’ailleurs plus lieu depuis longtemps de les comparer aux hommes, de se poser la question de la parité. »

Ce qui me manque, ce qui nous manque souvent est la confiance en nous. Nous nous étonnons nous-mêmes de ce dont nous sommes capables lorsque nous le réalisons ! Quand mon mari Ghislain commençait à organiser l’expédition au pôle Nord de 2010, je ne pensais pas pouvoir intégrer cette équipe. Tirer un lourd traineau, endurer des températures extrêmes, plonger sous la banquise, cela me semblait réserver à une élite. En m’entrainant pour partir, en y travaillant jour après jour durant deux ans et demi, je me suis forgée un mental qui m’a permis de traverser les épreuves et les doutes et de me sentir toujours heureuse et à ma place au milieu d’une équipe masculine.

« J’ai eu la chance immense de croiser sur mon chemin des hommes et des femmes qui ont cru en moi et qui m’ont donné l’élan indispensable à certains virages. Sortir des sentiers battus, c’est cela qu’on appelle audace, non ? »

Les idées véhiculées par l’équipe de TEDxChampsElyseesWomen se veulent audacieuses, de votre côté qu’en attendez-vous ?

Je pense que le grand défi de nos enfants sera de construire un avenir durable. Réussir la transition énergétique, revenir à des choses simples sans rejeter pour autant la modernité. C’est le défi que relèvent les groenlandais depuis des années : conserver une culture riche et adaptée à leur mode de vie sans pour autant rejeter le monde moderne.

« TEDx et TEDxChampsElyséeWomen sont des carrefours d’échanges où l’on donne la parole à des personnes qui en sautant le pas, en ayant une idée, un engagement, en prenant en main leur vie, montrent que tout est possible, qu’il n’y a pas de place pour le fatalisme. »

Ces valeurs qui sont communes à de plus en plus de femmes et d’hommes et qui disent: « faites quelque chose qui vous plait! »

L’appât du gain n’est pas une excuse à un travail simplement alimentaire. Quand on en a la possibilité, il faut se battre pour faire ce qu’on aime, et ne pas avoir de regrets.

Cela m’a guidée souvent dans des choix qui me semblaient cornéliens : « est-ce que je regretterai cette décision? » Il me semble que se dire un jour « j’aurais dû » est quelque chose d’inenvisageable dans une vie qui passe si vite.

Un mot, une expression ou une citation qui vous ressemble

Paul-Émile Victor disait « L’aventure est un état d’esprit. Elle se trouve dans le cœur de l’homme. L’aventure, c’est être capable de refuser son destin, être prêt à partir à tout moment, concevoir encore et toujours de nouveaux projets, ne pas être assis, c’est en un mot vivre sa vie et la construire. », OSEZ !

Laissez un commentaire