Anais Cadilhon

Les femmes en action
// 17 octobre 2014

Anaïs n’a que 24 ans. Et pourtant déjà si engagée et déterminée dans ses choix. Elle a passé 3 années de sa vie avec des femmes dans la rue. De ces années d’observation et d’accompagnement, elle a souhaité rendre à ses femmes une part de ce qu’elles lui avaient donné, en les mettant en avant au travers d’une exposition photographique. Parce qu’Anaïs va au bout de ses convictions avec un altruisme profond et un idéal élevé, elle a souhaité faire de ce portrait, un portrait croisé avec Mélanie, l’une de ces femmes, qui sort pour la première fois de l’anonymat, et lui permettre de retrouver ainsi une identité dans une civilisation en quête d’humanité.

Anaïs, une femme engagée pour l’identité de la femme fragilisée

Bien qu’encore jeune, Anaïs sait ce qu’elle veut. On le ressent dans sa voix, pourtant douce, et dans ses mots, recherchés et précis. Rien n’est laissé au hasard, parce que tout doit donner du sens. Elle même se définit comme une jeune femme engagée, persévérante et perfectionniste dans les projets qu’elle entreprend.

Un engagement précoce qui l’amène à comprendre et observer l’identité féminine fragilisée

Engagée déjà très jeune, à l’âge de 14 ans, au sein de l’Unicef de Mont de Marsan, elle se découvre humaniste et altruiste. Elle fait le choix d’études de sociologie pour tenter de comprendre l’environnement social dans lequel elle grandit et évolue, puis se tourne vers l’anthropologie, une discipline passionnante, considérant que la diversité est source de richesse humaine. Elle mène son premier terrain d’observation auprès d’ enfants espagnols séropositifs et de leurs ressentis et expériences de cette maladie transmise par la maman.

Elle décide alors de mener une recherche ethnographique auprès des femmes croisées quotidiennement au détour d’une rue, d’un hall de gare, d’une devanture de banque automatique ou de boulangerie : les femmes dépourvues de logement personnel, stable et intime, à Bordeaux et oriente alors la problématique autour des questions de regard sur soi, de construction de l’identité sexuée de ces femmes vivant l’itinérance urbaine.

«Comment ces femmes en sont arrivées là et quelles sont les conditions de vie et corporelles qu’elles mènent alors dans cette situation ? »

Suite aux deux premières années de relations hebdomadaires, voire quasi quotidienne avec ces femmes rencontrées tantôt dans les rues de l’espace public bordelais, tantôt dans des centres d’accueil d’urgence, son sentiment d’impuissance face à leur souffrance de l’invisibilité et de l’absence de citoyenneté, lui devient insupportable. Même si la danse et l’écriture lui permettent de faire face à la dureté du terrain.

« Écrire et décharger mes maux et mes mots dans un mémoire strictement universitaire, certes, mais elles, que tirent-elles de ce travail de collaboration que nous avons menées ? De quel support concret disposent-elles pour s’exprimer sur la scène publique et reprendre possession de ce que l’on appelle « la liberté d’expression citoyenne » ? »

Partager autour du projet photo-ethnographie co-réalisé « 6 femmes sans logement photographient l’itinérance »

« 6 femmes sans logement photographient l’itinérance ». 6 femmes ont reçues chacune un (ou plus) appareil photo jetable afin de photographier, s’exprimer et dévoiler ce quotidien de douleurs et d’incertitudes. Ce travail donnant lieu à une exposition photo itinérante dans divers lieux de Bordeaux et de Gironde, ces femmes ont saisies l’opportunité de s’emparer, le temps du projet, de leur droit à l’expression.-

« L’obstination qui me pousse à m’engager sur certains sentiers m’apporte parfois des sources d’anxiétés et d’indécisions que je tente cependant de surpasser… »

Profondément altruiste, Anaïs garde le lien et une ouverture pour poursuivre ses engagements…

Sensible, empathique et dynamique, c’est avec ouverture qu’elle envisage l’avenir, par des engagements qui sont le plus souvent en direction des Autres. Son désir premier est celui d’une immersion nouvelle avec peut être un emploi d’ethnologue dans une culture étrangère, d’Amérique Centrale, très prochainement.

Néanmoins si cette option venait à s’effacer, certaines de ces femmes et elle-même auraient d’autres idées de projets en tête ; la relation avec ces femmes perdurent… et elle se sait déterminée à mener à bout ses projets passionnés.

« Sur quoi repose mon bonheur et mon bien être général ? Sur une vie que je souhaite et m’agrémente la plus éclectique possible, culturellement, socialement et humainement parlant. Je me nourris de la diversité humaine. »

Se nourrir de la diversité humaine

En cela, Anaïs se retrouve pleinement dans les valeurs de Ted et TedX qui met en avant la parole et les idées de citoyens de divers horizons. La parole de l’autre, tout comme les idées novatrices qui peuvent faire avancer nos sociétés occidentales vers un mieux vivre ensemble.

« Mon initiative est celle de donner la parole, à travers des travaux ethnographiques ou de photos-ethnographies, de donner la parole, et de rendre la liberté d’expression à des personnes qui en sont, souvent, dépourvues.
Se tourner vers cet Autre, vivant une situation difficile et parfois dégradante, mais égal. Non pas seulement « parler de », « parler sur », mais discuter et partager ensemble des projets dans la diversité humaine.
S’enrichir mutuellement. »

Par ces mots, Anaïs est alignée avec les valeurs qu’elles portent et incarnent pleinement, allant jusqu’au bout de ses engagements, en créant des relations et en offrant la parole à des personnes dans le besoin, et en tentant de les rendre publiques et visibles.

« Si l’on cherche à poser un mot sur cet engagement, peut être pourrais je dire qu’il tient de l’anthropologie appliquée et impliquée et que mon intention est de faire sortir cette discipline des murs de l’Université pour la rendre socialement et culturellement « utile » à toutes et à tous. Il ne suffit pas d’écrire et de dire… »

« Deux mains de femmes se tenant affectueusement. Chacune vit dans des conditions de vie différentes mais la solidarité, le respect et l’ouverture à l’Autre doivent nous unir. Les inégalités et les fractures économiques et sociales ne doivent en aucun cas perturber les relations humaines. »

Mélanie, parcours d’une femme fragilisée et d’une vie fragmentée

Témoigner en tant que femme et mère, après plus de 10 ans sur les routes d’une vie de rue

« C’est en temps que femme et maman que je vous témoigne d’un morceau de ma vie. Après plus de 10 ans sur les routes d’une vie de rue, il était venu le temps de me retrouver, de me remettre en question, de me pardonner et de suivre mes convictions. Peu importe mon parcours atypique, je suis heureuse et reconnaissante de ce qu’il m’a appris. Et ce qu’il m’a appris n’a pas de prix. Il m’a construit une identité unique et m’a permis de savoir qui j’étais vraiment. »

Une maman seule, isolée, et bien souvent remplie de doutes et de peines. Une femme vivant au jour le jour, suivant des rêves de petite fille perdue. Une maman confrontée aux dures épreuves d’une société en constante évolution, devant se battre chaque jour pour donner le meilleur à son enfant, lui transmettre des valeurs qui lui assureront, je l’espère, les bases nécessaires pour affronter une réalité bien différente des rêves d’enfants.

« Je mène une vie simple, faite de petits bonheurs grâce à mon fils et les quelques proches qui me soutiennent. Il n’est pas facile de tirer les bénéfices d’un passé mouvementé. Une course effrénée guidée par des besoins de liberté inassouvis lors de mon enfance. Un passé en marge des codes établis par notre société. Des souvenirs créés au fil des années, sur les routes, privilégiant les relations humaines, les rencontres, l’écoute, le partage. Des souvenirs douloureux liés à la perte d’un cercle familial face à l’incompréhension de mes choix de vie et décisions. La perte d’amis emportés trop tôt par le dégoût de la vie, se réfugiant dans un monde toxique pour oublier leur tristesse. »

Perte d’identité et quête de soi

Une perte d’identité quand les jugements et les préjugés deviennent perceptibles au travers de sourires faussés, de trahisons et rejets.

C’est alors qu’un conflit intérieur amorce le début d’une quête. Une quête existentielle et vitale, une quête de soi.

Une mise à mal quand les repères éphémères sont incompris par la majorité.

« L’inconnu fait peur, et la peur fait bien souvent ressortir l’agressivité. Des agressions verbales, physiques, qui m’ont conduite peu à peu au développement d’une hyper émotivité, un mélange des émotions et ressentis tellement intenses que la mélancolie est devenue un quotidien, une lutte intérieure contre ce que je nomme, mon passager noir. La résultante de mon passé marginal m’a ainsi conduite à une classification en invalidité. »

Une femme sensible attachée à des valeurs morales et éthiques, prête à donner de soi pour défendre et sauvegarder des causes humaines. Causes malheureusement mises de côté, détrônées par un système capitaliste axé sur la création de besoins matérialistes que Mélanie déplore.

« C’est grâce à mon passé que j’ai pu ouvrir les yeux sur ce phénomène de déshumanisation de l’être humain en tant que personne morale, avec ses besoins fondamentaux bafoués. Cet éveil de conscience n’a pas été sans contrepartie, mais même si elle en est une mélancolie de la vie omniprésente, je suis enfin en accord avec mes principes et engagements profonds, la tolérance, le respect, le non jugement de l’autre, l’écoute, le partage par le don de soi. »

Le projet  » 6 femmes sans logement « , un projet hommage et un chemin d’introspection

Ce projet  » 6 femmes sans logement  » a été pour Mélanie, un formidable hommage qui lui a été offert à 5 autres femmes et elle-même. Une introspection sur des chemins de vie souvent douloureux de femmes oubliées.

« Il a été une chance, une possibilité de témoigner d’un univers trop peu connu, celui de la rue. Il fût un lien, un fil d’Ariane conducteur d’échange et de paroles, qui pour ma part m’a permis de ne pas sombrer et d’amorcer une reprise de confiance en moi-même. »

Aujourd’hui, Mélanie est fière d’avoir participé au développement de ce projet qui l’a aidée et l’aide encore dans sa reconstruction personnelle.

Il a été comme le catalyseur d’un changement radical dans sa vie personnelle et professionnelle. Il lui a donné le courage de témoigner à travers cet écrit, d’assumer pleinement ses convictions et envies, d’amorcer une reconversion professionnelle en adéquation avec les valeurs profondes auxquelles je suis attachée.

Des projets se sont dessinés, des projets de don de soi, notamment par le biais d’une association travaillant bénévolement à la reconstruction d’écoles pour orphelins en Amérique du Sud, et un poste de bénévole dans une association artistique musicale afin de faciliter l’accès à des moments privilégiés pour des enfants atteints de maladies graves.

La gratitude pour celles qui lui ont tendu la main

Mélanie tenait à remercier Anaïs Cadilhon pour son admirable engagement et son dévouement total à ce projet dans ce témoignage et portrait croisé.

Pour Mélanie, les valeurs véhiculées par TEDx telles que l’écoute et le partage d’expérience doivent perdurer car c’est grâce à cette combinaison que nous pourrons anticiper des besoins jusqu’alors inconnus ou peu relatés, afin de continuer à promouvoir le développement de projets tels que  » 6 femmes sans logement « .

« Ils sont les gardiens de l’espoir et de l’inoubli, les vecteurs de sauvegarde de l’esprit d’une civilisation tourmentée. »

 

Partages d’une vie affaiblie, pour ne pas oublier ce qu’est la réalité et la condition de certaines femmes dans notre époque et notre civilisation dite « moderne et développée »

« En effet à cette époque de ma vie la noirceur m’avait envahie. Je n’étais plus que l’ombre de moi-même, passant mes journées à regarder à travers la fenêtre d’un domicile que je devais quitter au plus vite pour nous protéger. Terriblement affaiblie, n’arrivant plus à mettre un pied dehors, prise de crises de panique, d’angoisses me déchirant le ventre et le cœur je me suis raccrochée au bien le plus précieux qu’il me restait, les sourires de mon fils innocent.

C’est ainsi qu’une voiture emplie du nécessaire de survie m’a conduite d’hôtels d’urgence en hébergement temporaire chez un proche avant d’arriver dans un foyer hivernal. Lors de cette descente aux enfers, ma priorité fût de limiter l’impact de ces multiples aléas sur mon enfant, afin d’assurer son bon développement. Malgré les changements de domiciles, d’écoles, il fallait garder la tête haute, ne pas lui montrer la dureté de ce monde d’errance. Un travail sans relâche pendant près de 5 mois, se cumulant avec les démarches labyrinthiques administratives pour retrouver un logement.

Peu de temps pour l’évasion de l’esprit, oublier quelques temps la réalité de cette vie en communauté. Un apprentissage de dissociation des émotions afin de ne pas tomber prisonnière d’une immense tristesse. Tristesse d’une maman qui n’a pu offrir de Noël à son enfant.

Voici l’envers d’un décor bien loin de ce que nous relatent les informations à ce sujet. Un univers de violence, physique, mais surtout psychique, gouverné par les culpabilités personnelles, le repli et le déni de soi. Des travailleurs sociaux assommés par des semaines surchargées, trop peu nombreux pour des structures où les budgets ont l’air d’avoir été oubliés, à l’image de ces femmes, accidentées de la vie. Un défaut de personnel médical pourtant indispensable pour traverser ces épreuves émotionnelles intenses afin de ne pas se perdre.

Pour autant je remercie cette structure qui a fait du mieux qu’elle pouvait malgré des conditions insuffisantes à mon sens à l’aide dont chacune des femmes aurait du bénéficier pour faciliter une réinsertion dans des conditions adaptées à la souffrance du ressenti de ce qu’elles ont traversés. »

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