Benoite Groult nous raisonne encore

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// 11 juillet 2016

« Il faut se rendre à l’évidence : l’humanité est misogyne ». Cette phrase introduit l’ouvrage de Benoite Groult « Le Féminisme au masculin » paru en 2010 et en dit long quant à la personnalité et l’engagement de cette dernière, face à un environnement qui ostracise encore dangereusement toute évolution majeure.

Romancière, essayiste, enseignante ou encore journaliste, elle n’aura eu de cesse de se lever pour l’émancipation de la femme d’un conservatisme patriarcal de nos sociétés pourtant « modernes » et « démocratiques ». Partie (trop tôt) le 20 juin dernier, son féminisme revendiqué demeurera à l’avant-garde des nombreux mouvements contemporains, ses ouvrages resteront des sources d’inspiration et d’introspection pour beaucoup d’entre nous. Son apport historique et intellectuel est une mine d’or pour le cœur et l’esprit de celles et ceux qui, comme elle, sont en quête viscérale d’un changement radical. Malgré les avancées sociétales autour de la cause féminine, l’actualité illustre semaine après semaine la lenteur avec laquelle les institutions peinent (si tant est qu’elles en aient l’envie) à mettre des actes derrière les « maux », comme si les dires de Groult ne parvenaient jamais aux oreilles des « décideurs » contemporains. Après tout, « Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ».

Dans l’ouvrage cité au début de ce billet, Benoite Groult entreprend une description historique du Féminisme et de son expression à travers ceux qu’elle nomme les « savants ». Poulain de la Barre, Condorcet, Michelet, Freud, Proudhon ou encore Stuart Mill, pour ne citer qu’eux, l’essayiste s’attache à multiplier les développements littéraires et philosophiques des uns « conservateurs » (Proudhon, Michelet ou Freud) pour les opposer aux autres « progressistes » (Condorcet ou Stuart Mill). Néophyte de ses ouvrages, je suis resté séduit par l’ « agressivité » constructive de ses commentaires et de ses analyses mais aussi par la modernité de ce nous appellerions de nos jours ses « punchlines » (phrases courtes, pertinentes et « choquantes »). Lorsqu’elle cite Fénelon développant sa doctrine dans laquelle « les femmes ont d’ordinaire l’esprit plus faible et curieux que les hommes. Aussi n’est-il point à propos de les engager dans des études dans lesquelles elles pourraient s’entêter » (Traité de l’Education des filles, 1687), Benoite Groult répond : « On voit que les hommes de Dieu (Fénelon était évêque de Cambrai) peuvent aussi être d’un cynisme déconcertant quand il s’agit de défendre la suprématie masculine ». « Hommes de Dieu » ou bien « suprématie masculine », des mots forts, pourtant encore faibles face à des mentalités toujours autant bornées.

En effet, concernant Fénelon, au-delà de de son infâme vision des femmes, analyser une pensée avec nos yeux du 21ème siècle a ses limites. Qui plus est, le Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes (le droit des Femmes encore et toujours assimilé aux familles et à l’enfance, un symbole qui ne trompe personne) a publié l’ouvrage référence annuel intitulé « Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes Les Chiffres Clés – Références – Edition 2016 » dans lequel nous pouvons aisément constater ne serait-ce qu’une mixité grandissante au sein du cursus scolaire. Comme quoi, contrairement à ce que l’évêque de Cambrai pensait au 17ème siècle, ces mêmes « femmes à l’esprit plus faible » se sont « entêtées », et elles ont bien fait ! Il ne lui était peut-être pas venu à l’idée qu’elles puissent réussir … !

Fénelon était un « savant » (auto-proclamé, ou proclamé par d’autres hommes de son époque, autre symbole ?) mais abordons, ne serait-ce que pour quelques lignes, les institutions dans leur ensemble. Benoîte Groult, en mai 2011, pour Terriennes, disait ceci : « Que les libertés votées après tant de luttes soient enfin mises en pratique et acceptées par la société et non constamment remises en question par le Pape, les Eglises, les bien-pensants ». Il y a plusieurs explications à développer issues de cette réflexion. Retenons-en deux.

La première s’inscrit dans l’idée qu’une mesure d’amélioration de la condition féminine passe inévitablement par l’action des institutions qui, bien que de nature orthographique féminine (la féminisation des mots était aussi un des sujets de prédilection de Benoite Groult), sont érigées mais aussi dirigées essentiellement par des hommes. Dans les fait, le 27 juin dernier est une date qui symbolise de manière consternante la citation du paragraphe précédent. A la suite de l’ « affaire Baupin », un amendement visait à rendre inéligibles les députés en cas de condamnation pour violences. Il a finalement été rejeté par l’Assemblée nationale et, pour l’anecdote, sur 577 élus, 15 ont voté. Je ne vais pas ici m’appesantir sur la gravité de ce non-événement car c’est déjà impensable de se rendre compte que cette mesure ne soit pas encore évidente en 2016. Non, je vous laisserai tout simplement avec l’image d’une Assemblée nationale, à l’inverse, bondée et hyperactive, le 20 janvier 2016, lors de la venue de Pamela Anderson. La juxtaposition de ces deux évènements, de leur déroulement et du résultat résument l’inconscience, la passivité et l’irresponsabilité d’une grande partie de la classe politique, mais aussi de nombreux journalistes.

La deuxième explication prend tout son sens dans une autre citation, extraite de l’ouvrage « Le Féminin pluriel » publié en 1965 : « Rien ne changera profondément aussi longtemps que ce sont les femmes elles-mêmes qui fourniront aux hommes leurs troupes d’appoint, aussi longtemps qu’elles seront leurs propres ennemies. ». A l’instar des frontières institutionnelles précédemment évoquées, il subsiste des frontières humaines, morales et quotidiennes. Ce que l’on appelle communément la « discrimination ordinaire » : elle concerne chaque individu. L’obstacle est alors d’autant plus grand lorsque c’est une femme de notoriété publique, de la sphère politique, donc « décideuse » et influente, qui « remet en question » ces libertés acquises ou, a fortiori, l’évolution des mentalités. Comme si Benoîte Groult avait imaginé une illustration si caricaturale de ses propos, il y a quelques mois, lors de la campagne régionale en l’Ile-de-France, Valérie Pécresse, après avoir déclamé la nécessité d’une « région propre » a renchéri : « Et rien de tel qu’une femme pour faire le ménage ». Certains me répondront qu’il s’agissait d’humour, d’autres que c’était une phrase sortie de son contexte, mais voilà, une personnalité politique, qui plus est une femme, ne peut pas, par ambition électoraliste, s’asseoir sur une Cause (et la majuscule est de mise) aussi fondamentale et porteuse d’un si long combat.

Cet exemple est une goutte d’eau dans l’océan d’actions (ou d’inactions justement) qui ralentit les femmes sur le chemin de l’égalité, de la parité et de la justice. « Comme l’avait dit Poullain de La Barre, les Modernes s’accommodent bien des affirmations des Anciens toutes les fois qu’elles concordent avec leurs intérêts personnels » (Benoîte Groult, toujours). Pourtant, et ce sera la conclusion de ce billet, les chercheurs s’accordent à prouver une toute autre évidence aujourd’hui, en ce sens où au lieu d’avoir peur de perdre ses privilèges (ce qui n’est pas du tout du tout égoïste et autoritaire…), il faut davantage penser aux bienfaits d’une mixité totale, c’est-à-dire dans le privé (à la maison) et dans le public (professionnel). Pour approfondir cette dynamique intellectuelle concrète, je vous conseille vivement la conférence du sociologue Michael Kimmel, présent lors du TEDWomen 2015. Intitulé « Pourquoi l’égalité des sexes est bonne pour tous, y compris les hommes », je ne vais pas ici vous décrire sa philosophie et ses arguments, je vous invite de préférence à l’écouter attentivement, il sera beaucoup plus convaincant qu’une modeste et précoce synthèse personnelle. Néanmoins, en guise d’ouverture, je ne peux m’empêcher de vous citer la fin de son intervention, laquelle, au-delà des critiques historiques ou d’analyses des sociétés modernes dont Benoîte Groult aura exacerbé les problématiques et les améliorations indiscutables, met en exergue l’idée que l’émancipation de la femme est la condition sine qua non de l’épanouissement des hommes.

« En 1915, à la veille d’une des plus grandes manifestations populaires sur la Cinquième Avenue de New York, un écrivain new-yorkais a écrit un article dans un magazine. Le titre de l’article était : ‘ Le féminisme pour les hommes. ‘ Et voici la première ligne de cet article : ‘ Le féminisme permettra aux hommes d’être libres pour la première fois. ‘ », M.Kimmel.

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